Bohuslav Reynek – Poèmes
Montmajour
Devant le portique une tourterelle se promène, rose et dorée
comme sa mère la Provence.
Passé le portique, deux chiens qui profitent du soleil, et un chat ;
et une vieille vous montre l’orgueil des tombeaux pillés et dit :
“Mes chiens ne touchent pas à la petite tourterelle, ni mon chat…” Entourée de murs, voici la cour que les arcades surveillent, et au milieu du gazon la fontaine envahie d’un printemps sans fin, et de senteur.
Mais la vraie merveille la voici : la vieille ouvre la porte du réfectoire des moines, il vous en arrive une tiède brume, et vingt, et trente agneaux ou chevreaux lèvent de petites têtes blanches engourdies
et silencieuses, vers cette lumière du dehors. Étrange floraison à demi animale dans l’obscurité grise, ils se tournent un tout petit peu vers le soleil, encore si chargés de la terre et de la nuit dans le giron et le sang. Laine blanche comme clair de lune, des yeux très fonçés… Végétation frôlée par l’air d’un lent réveil, bonne comme un baiser d’enfant sur la joue, et comme le chuchotement de la terre après l’averse. Comme une espérance prenant germe dans un cœur et qui n’a pas encore été effacée. La vieille ferme la porte et le sombre Montmajour cache son plus doux secret, va sombrer dans ses rêveries autour des peines temporelles et éternelles, le sombre Montmajour, le pèlerin dans son jardin d’oliviers, le pèlerin Montmajour avec ses pieds blancs de poussière, ruinés par la vieillesse, la maladie, les déceptions.
Il est triste à en mourir, aimerait tant se souvenir du chant de sa sainte jeunesse, mais tant qu’il fait jour, n’y arrive pas. Avec la nuit seulement.
Bohuslav Reynek
Traduit par Michel Reynek
In : Bohuslav Reynek – L’image dans l’œuvre poétique et graphique